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Le poil à gratter…

5. Étrange familiarité – Anne Da Silva déclare : « Je transforme beaucoup mes trouvailles en cherchant à faire émerger de nouvelles matières à la fois singulières et pourtant familières à l’esprit de qui les regarde. Cette familiarité un peu étrange est une dimension importante de mon travail ; face à mes œuvres on est toujours à même d’identifier l’origine de ces matériaux que l’on côtoie tous les jours, mais parce qu’ils ont été pressés, cuits, troués, grattés, tannés ou cousus, un doute s’installe, notre perception change et notre imaginaire, dès lors, embraye. Surgissent alors selon les sensibilités des mondes où l’on invoque la sorcellerie, les rites religieux, les objets archéologiques, les ouvrages de dames[10]. » Chez notre artiste, l’inquiétante étrangeté (das Unheimliche) de Freud[11] se mue donc en étrange familiarité… L’artiste pousse alors l’observateur à mettre en doute ses propres certitudes, de ce qu’il pensait être familier… Ainsi, ce qui lui semble connu, voire proche, convoie de l’étrangeté, du bizarre, sans qu’il puisse en identifier la cause car, finalement, à l’analyse, tout semble coutumier, sans histoire… mais lourd de non-dits que chaque regardeur interprète en fonction de sa propre histoire, de ses références culturelles de ses souvenirs et de ses blessures intimes…

6. Absence, attente et veille – Il n’est peut-être pas si anecdotique de savoir qu’Anne Da Silva a effectué deux résidences de recherche artistique dans un phare, même si ledit phare est désaffecté et son île accessible à pieds secs, à marée basse. La notion d’attente et de patiente veille est prégnante dans beaucoup de ses œuvres. Si on ajoute à ces faits son fréquent recours aux travaux d’aiguille et le parallèle que ceux-ci établissent avec la figure de Pénélope, les notions d’absence, d’attente et de veille s’imposent avec force. D’ailleurs, une de ses plus imposantes installations, évoquée ci-dessus, n’est-elle pas intitulée Veille. Les références maritimes, réelles ou imaginaires, de la plupart de ses productions renvoient aussi aux épouses des terre-neuvas ou des islandais, partis en mer pendant de longs mois, à la patience obsessionnelle de celles qui, restées à terre, attendent, partagées entre espoir et crainte, le retour de leur homme. Mais son propos va bien au-delà de ce qui pourrait être considéré comme anecdotique pour s’élargir à des dimensions plus universelles. L’artiste déclare en effet : « À cette image de celui qui reste s’arrime celle du vide, d’un espace ouvert, infini et immatériel. L’absence, l’attente pour horizon, qu’il s’agit de domestiquer. C’est depuis cette place-là, de celui qui veille, que je me tiens pour construire ce travail. La place de celui qui, immobile, les pieds à terre, va, par la pensée, à la rencontre de ceux qui manquent[12]. » Cependant, tout en cultivant un riche imaginaire, Anne Da Silva conserve une parfaite lucidité quant à la réalité de notre monde et aux limites d’une imagination qui reste toujours crédible, laquelle évoque le propos de Victor Hugo : « Pour vivre, le poisson ne doit pas sortir de l’eau, l’homme ne doit pas entrer en terre[13]. » Pour Anne Da Silva, la création plastique ne serait que le prolongement d’un état de veille et/ou de mémoire active(s) qui assurerait le lien avec la réalité du monde qui nous entoure.

7. Mémoire et fossilisation – Cette dimension mémorielle est toujours très présente chez Anne Da Silva. Il y a, chez elle, une volonté de figer quelque chose d’un passé qui a trop tendance à filer et à nous échapper. Elle le fait sans pour autant sombrer dans une forme de nostalgie stérile mais, plutôt, en exacerbant le pouvoir évocateur de la mémoire. Il est question, chez elle, plus de mémoire que de souvenirs… Pas d’auréole déformant ou embellissant des images anciennes, mais plutôt la précision d’une naturaliste ou d’une historienne s’en tenant à la réalité des faits et des choses. En cela, notre artiste serait une antithèse de Proust, se rangeant plus du côté de Descartes pour qui la mémoire, corporelle ou intellectuelle, ne serait que la conservation, dans le cerveau, de traces de mouvements passés[14]. Donc, pour Anne Da Silva, pas de place pour le doute sur la matérialité des choses, pas de questionnement du type de celui de Valéry : « C’était peut-être un ossement de poisson bizarrement usé par le frottement du sable fin sous les eaux ? Ou de l’ivoire taillé pour je ne sais quel usage, par un artisan d’au-delà les mers ? Qui sait ?[15] » Très symptomatiques de cette attitude sont ses travaux récents, de la série Reliques, pour lesquels elle trempe les fragments, végétaux ou animaux, qu’elle collecte dans du grès liquide, les allonge sur des barquettes d’émail et les cuit à haute température. Il en résulte des fantômes, d’une blancheur dérangeante, qui illustrent la porosité entre les règnes minéral, végétal et animal, et, dans un processus qui s’apparente à la fossilisation, abolissent les frontières du temps. Bien plus que son objectif affiché de débusquer le potentiel évocateur de la matière et des volumes, il s’agit, ici, d’une tentative de communier avec le monde. Pas étonnant, donc, qu’elle se plaise à citer Henri Michaux qui voyait dans sa propre pratique du dessin une volonté « [d’]imprimer le monde en [lui]. Autrement et plus profondément[16]. »






  • 30.05.2023 - 30.06.2023
    Ausstellung »
    Cynorrhodon – FALDAC »

    du 30 mai au 4 juin 2023
    74 boulevard Richard-Lenoir – 75011 PARIS
    (notices rédigées par Louis Doucet)

Reliques, 2021
Pélagie, 2019


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  • Curiosités, 2021
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