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Les sculptures d’Hugo Bel

Dans cette même exposition, Hugo Bel présentait, encadrées, de fines plaques de plâtre dont la vision suscitait un malaise chez le spectateur, conscient de leur fragilité et du caractère dérisoire d’une telle production, incapable de résister au moindre choc… Toujours cette impermanence au cœur de son travail plastique, y compris dans ses productions en deux dimensions… On pourrait dire de même de ses cyanotypes sur papier, Le merveilleux est dans le quotidien, 2021, réalisés à partir de l’ombre portée par des verres soufflés : fragilité du verre, fugacité de l’ombre, dépendance de réactions chimiques, souvent imprévisibles, entre ombre et lumière… « Seul l’éphémère dure[12]. » aurait déclaré Eugène Ionesco en 1962. Il y a bien, dans les œuvres d’Hugo Bel cette dose de théâtre de l’absurde cher à l’auteur de La Cantatrice chauve…

La dimension mémorielle, que nous venons d’évoquer, est aussi souvent présente dans les œuvres d’Hugo Bel. Par exemple, Emprunt de mémoire, 2020, est une installation in situ réalisée en sucre à partir du moulage d’un linteau de cheminée, lui-même moulage d’un original déplacé en un autre lieu. L’artiste a procédé par estampage sur des plaques d’argile, lesquelles se sont brisées lors du processus de coulage du sucre. Leurs débris sont présentés devant la pièce, pour marquer l’étape ultime d’une succession d’opérations étalées sur plusieurs siècles : de l’original à sa copie, de la copie à sa version en sucre, de cette production à son immanquable disparition…

Pour réaliser Échappée du 21.07.2020, 2020, installation en sable de rivière et sucre massé, Hugo Bel a planté des tubes métalliques verticalement dans un coffrage rempli de sable. Après avoir tassé le sable, les tubes ont été délicatement retirés et du sucre liquide versé dans les espaces laissés vides. Après décoffrage, ne subsistent que des colonnes de sucre d’une grande fragilité, émergeant d’un monticule de sable, comme d’improbables stalagmites. Cette œuvre était vouée à une rapide disparition du fait de l’instabilité du sable, de son humidité qui fait fondre le sucre et des mouvements des visiteurs. Elle demeure cependant, à travers ses photographies et la description du protocole de sa réalisation, un monument, au sens initial de ce terme : un objet qui atteste l’existence, la réalité de quelque chose et qui peut servir de témoignage.

De façon paradoxale chez un artiste pour lequel le processus prime sur le sujet et sur l’objet, Hugo Bel ne dédaigne pas la nature. Il s’en revendique même. On a vu que le barreaudage du lit de Stalker se présentait comme une structure végétale. Ailleurs, dans Gangue, 2018, installée en plein air, il recouvre partiellement d’une dentelle de plâtre naturel un bloc de moraine glaciaire, comme s’il s’agissait d’une pierre précieuse. L’écrin, initialement blanc, changera de couleur, puis se délitera et disparaîtra, redonnant au bloc érodé son aspect initial. Il en est de même pour Promenons-nous dans les bois, 2020, habillant un bloc de pierre anguleux.

Plus généralement, respecter les formes naturelles est au cœur de la démarche de notre artiste. A contrario de Picasso qui déclarait : « Tout acte de création est d’abord un acte de destruction[13]. », Hugo Bel prend les sujets – animés, végétaux ou minéraux – dans leur état originel, comme il les a trouvés. Il leur applique un processus spécifique, puis les abandonne et laisse les choses se dérouler, sans la moindre intervention de sa part, sachant que ce qu’il a traité reviendra inéluctablement à sa destinée initiale : la disparition, pour le vivant, la lente évolution pour les objets inanimés. Toute trace de son activité sera alors effacée, telles les inscriptions sur le sable balayées par la marée, ou ce long manteau qu’est la vie, si l’on en croit Aragon : « La vie est un voyageur qui laisse traîner son manteau derrière lui, pour effacer ses traces[14]. » Hugo Bel ne se découragera pas, comme Joyce, mais reprendra son travail, comme Dubuffet… sans cette angoisse qu’évoquait Brassaï dans un entretien en mars 1980 : « C’est la hantise et le désir de l’homme de laisser une trace indélébile de son éphémère passage sur cette terre qui donnent naissance à l’art[15]. » Il sait bien que toutes les traces des activités humaines ont vocation à disparaître sous l’effet de l’entropie qui gouverne l’univers… Inutile de perdre son temps à s’en préoccuper, donc…

Louis Doucet, avril 2022

[1] “Hopeless thing sand. Nothing grows in it.” in Ulysses, 1920.
[2] In Prospectus aux amateurs de tout genre, 1946.
[3] Le verbe anglais to stalk dénote tout un spectre de significations. Dans sa forme intransitive, il signifie le fait de progresser d’un pas raide, d’arpenter… Il évoque, pour moi, avant toute autre chose, les vers de Thomas Hardy de la première strophe de son In Time of “The Breaking of Nations” écrite en 1915, en pleine Première Guerre Mondiale :
Only a man harrowing clods
In a slow silent walk
With an old horse that stumbles and nods
Half asleep as they stalk.
Juste un homme hersant des mottes de terre
Dans une marche lente et silencieuse
Avec un vieux cheval qui trébuche et hoche la tête
À moitié endormis, avançant d’un pas raide.








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    Cynorrhodon – FALDAC
  • Reconstitution de la polychromie d’un fragment des frises du Parthénon (c) ynorrhodon.org
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    Cynorrhodon – FALDAC
  •  Auguste Clésinger Femme piquée par un serpent, 1847 (c) ynorrhodon.org
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    Cynorrhodon – FALDAC
  • Paysage mental, 2021 (c) ynorrhodon.org
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    Cynorrhodon – FALDAC
  • Promenons-nous dans les bois, 2020 (c) ynorrhodon.org
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    Cynorrhodon – FALDAC
  • Emprunt de mémoire, 2020 (c) ynorrhodon.org
    Emprunt de mémoire, 2020 (c) ynorrhodon.org
    Cynorrhodon – FALDAC
  • Cyanotype – Le merveilleux est dans le quotidien, 2021 (c) ynorrhodon.org
    Cyanotype – Le merveilleux est dans le quotidien, 2021 (c) ynorrhodon.org
    Cynorrhodon – FALDAC