Les sculptures d’Hugo Bel
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Presse28.11.2022
Parler d’écriture dans le sable quand on veut évoquer le travail d’Hugo Bel me semble d’une criante évidence. J’ai découvert son travail lors de son exposition à la Galerie du Haut-Pavé, en 2019. Il y présentait, entre autres pièces, Stalker, une structure réalisée in situ en sucre et en sciure de bois. Son titre renvoie au film du même nom, 1979, d’Andreï Tarkovski dans lequel un guide – un stalker, harceleur ou traqueur[3] ? – tente de conduire deux explorateurs vers une chambre inaccessible, au milieu d’une zone périlleuse, changeante et déliquescente, dont les règles échappent à la logique usuelle. Chez Hugo Bel, la chambre est devenue, par synecdoque particularisante, un lit. Ce lit à barreaux, d’un modèle désuet des années 1950, était réalisé en sucre et en sciure de bois, avec le même soin que celui apporté pour la fonte d’une bronze à la cire perdue, si ce n’est que la cire était, dans ce cas, remplacée par de la sciure et le bronze par du sucre : un sucre à la sciure perdue, pourrait-on dire… Outre le caractère dérisoire de dépenser un tel effort pour un résultat d’emblée condamné à une rapide et inexorable destruction, j’avais été frappé par les qualités plastiques de cette œuvre mettant en écho des verticales au caractère presque végétal avec un plan horizontal, miroir infra-mince et fragile, dont la capacité à réfléchir avait été désamorcée. Et cet espace désespérément vide et fragile, au centre, où une présence humaine est évoquée en creux, comme la trace d’un passage, faisait, pour moi, écho au propos de Georges Perec sur l’acte d’écriture : « Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes[4]. » Il y avait aussi du memento mori, de la vanité dans ce travail qui interrogeait sur la déréliction et sur les fins ultimes de toute chose, matérielle ou humaine…
De sa démarche singulière, Hugo Bel écrit : « Engagé dans un travail de sculptures et d’installations in situ, j’utilise des matières poreuses qui une fois réduites à une fine épaisseur, interagissent avec l’air et la lumière. Comme des membranes, elles dialoguent avec leur environnement immédiat. Affinées, comme dépouillées d’elles-mêmes, ces matières deviennent alors atmosphériques. À l’atelier, je tente de repousser ces matériaux dans leurs limites techniques et mécaniques, à la recherche des phénomènes qui leur sont propres. Puis, par des systèmes personnels et innovants, je m’applique à amplifier ces caractères spécifiques. Ils font alors corps avec l’espace environnant et se présentent aux visiteurs sans artifices. Mon travail est avant tout basé sur l’expérimentation intuitive et l’observation des matériaux. Plusieurs recherches sont souvent menées de front, parfois, elles se rejoignent et s’enrichissent naturellement. Présenter quelque chose de fin, de fragile, met le visiteur dans une position d’écoute et d’observation de son propre corps. Il est alors plus attentif à ses déplacements, sa respiration[5]. » Cette volonté de ne pas suivre un chemin tracé d’avance mais de chercher des voies nouvelles, vers des terræ incognitæ, me fait penser à la sentence faussement attribuée à Ralph Waldo Emerson : « N’allez pas là où le chemin peut mener. Allez là où il n’y a pas de chemin et laissez une trace[6]. » Et, comme l’affirmait Henri Michaux, « Qui laisse une trace, laisse une plaie[7]. » La plaie béante et douloureuse de toute quête humaine restée inassouvie…
En novembre 2020, lors de la session d’automne de macparis, Hugo Bel présentait une de ses rares œuvres transportable, bien que fragile et, elle aussi, inéluctablement vouée à la disparition. Son Paysage scénique #3 est constitué de trois sculptures en sucre massé, réalisées à partir de moulages en argile sur des modèles vivants, l’un accroupi au sol, le deuxième assis sur une chaise, le dernier sur un bahut, le sol étant jonché des débris des moules en terre. Au premier abord, le spectateur pense que les personnages, figés, fixant un horizon insaisissable, sont réalisés en cire, en stéarine ou en paraffine. Une analyse plus poussée le laisse dubitatif, surtout du fait des irrégularités de la surface, constellée de bulles, de cloques, de petites cavernes et de manques de matière… Ce n’est qu’à la lecture du cartel que la vérité s’impose, non sans mal, d’ailleurs, car l’idée du recours à du sucre de betterave dans les arts plastiques ne va vraiment pas de soi… Ce qui me frappe, dans ces œuvres, c’est la confrontation d’un processus très ancien, maîtrisé, et donnant des résultats prévisibles et durables, avec la volonté d’y introduire une dimension aléatoire, un risque et un degré d’imprévisibilité du résultat. Tout pousse à croire que, pour Hugo Bel, le procédé prime sur le résultat, considéré comme la trace d’une activité plutôt que comme une fin en soi. Le créateur met son ego entre parenthèses pour laisser le processus se dérouler, avec les accidents qui lui sont inhérents. On pense au travail du poète décrit par René Char : « Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver[8]. » Et ces traces ne peuvent pas perdurer car, comme le déclare Jacques Derrida, « Une trace ineffaçable n’est pas une trace[9]. »
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